Accueil » Délibérations: vers la construction de l’avis final
Après avoir auditionné une douzaine d’expert·e·s, le troisième week-end du Forum Citoyen a été consacré à la recherche d’un consensus autour des principes de bases, des objectifs et des mesures qui composeront l’avis final. Les 30 participant·e·s se sont mis à la tâche avec enthousiasme, parfois un peu de découragement et toujours beaucoup de respect.
Samedi 8 mai à 9h, les trente participant·e·s du Forum Citoyen sont à nouveau réunis autour de larges tables drapées de blancs et ornées de post-it et feutres pour un troisième week-end de travail. “Ce week-end va être très chaud en température et quant à la préparation du rapport final qui sera rédigé lors du prochain et dernier week-end”, avertit Nenad Stojanovic de l’Unige. Après avoir recueilli l’avis d’une douzaine d’expert·e·s lors du week-end précédent, il faut maintenant construire la structure de l’avis final et réfléchir à qui ce document sera remis. “Vous êtes libres de saisir n’importe quelles autorités”, rappelle-t-il.
Les informations données par les spécialistes lors du week-end précédent ont été denses. Comment structurer l’avis final? “C’est à vous de décider”, poursuit Nenad Stojanovic en projetant l’exemple des documents présentés par la Convention sur le climat en France et celui du Forum citoyen au Royaume-Uni sur le Brexit.
Igor Andersen d’Urbaplan, donne l’exemple du plan directeur de Vevey, un document qui fixe les orientations sur le développement du territoire :
A.Principes de base / priorité / intention
A.1 Objectifs de base
A.1.1 Mesures / Exemples
Doutes et enthousiasme
Les exemples fournis font émerger les questions et doutes des participant·e·s. “Est-ce qu’il y aura vraiment des actions après la remise de notre avis?”, demande Susan, une participante. “Dans quelles mesures les recommandations de la Convention sur le climat ou du Forum sur le Brexit ont-elles été prises en compte par le gouvernement?”, poursuit Pascal. Le professeur ne sait répondre. La mise en œuvre des 149 recommandations de la Convention citoyenne sur le climat peut-être suivie sur ce site, indique Frédéric Josselin du Département du territoire. Quant à l’exemple du plan directeur de Vevey, il s’agit d’un outil formel d’aménagement du territoire qui a été soumis au Conseil communal qui a ensuite décidé d’adapter son contenu, explique Igor Andersen.
“J’ai l’impression que ce qu’on fait est très politique et nous n’abordons pas les problèmes actuels, comme l’extension de l’autoroute Grand-Saconnex ou la suppression des espaces verts et l’abattage des arbres pour mettre de nouveaux immeubles. Est-ce que ce que nous faisons ici va toucher des questions actuelles et ce qui nous concerne tous?”, exprime Linda. “Vous pouvez faire des propositions concrètes et proposer des mesures sur la manière dont le processus doit se dérouler”, répond le directeur associé d’Urbaplan.
Giorgio est plus positif: “Nous ne sommes pas des politiciens et n’avons pas de chef, nous pouvons être vraiment libres et courageux en faisant des propositions certes modérées – car nous sommes en Suisse – mais de rupture et faire un effort pour être concret.” Frédéric Josselin rassure: “S’interroger est naturel. Le Conseil d’Etat a accepté la proposition de s’appuyer sur un panel de représentants de la population et de lui soumettre cette question extrêmement complexe. C’est un pari pour le Département du territoire. Nous voulons que vous soyez propriétaire de ce rapport et que vous puissiez en faire ce que vous voulez. Toutes les propositions opérationnelles sont bienvenues. Dans quelques semaines, le gouvernement présentera son plan climat pour aller vers la neutralité carbone. La fenêtre de tir est opportune: il y aura des effets symboliques et leviers.”
Les informations transmises par les spécialistes ont été très denses. “Des personnes m’ont fait remarquer qu’elles n’avaient pas eu le temps de discuter de ce qui se fait déjà, observe la facilitatrice Christiane Amici-Raboud. Cela m’a inspiré une nouvelle activité.” Elle invite donc les membres du Forum à écrire une chose qu’elles et ils font déjà pour soutenir le mieux vivre-ensemble dans le respect du vivant et faire face au changement climatique; en collant sur un panneau un post-it sur lequel est inscrit quelque chose qui aurait beaucoup d’impact si tout le monde faisait la même chose.
Judith arrive la première et colle “un abonnement à Air PQ, un abonnement à du papier de toilette recyclé avec reforestation en Amazonie”. Déborah rit et dépose le sien: “je privilégie le vélo pour me déplacer”, Pascal affiche “je n’utilise pas l’avion”. Les autres membres les rejoignent petit à petit avec leurs gestes: “travailler dans une entreprise écoresponsable”, “recycler mes déchets », “me déplacer a pied”, “je mange peu de viande”, “je mange des produits selon leur disponibilité locale et les saisons”.
“On va y aller étape par étape et on y arrivera”, rassure Christiane Amici-Raboud, la facilitatrice. Elle aide les membres du Forum à entamer la première étape: sélectionner les principes les plus importants, ceux qui vont les guider jusqu’à la production de l’avis final.
Elle invite à commencer la réflexion en duos. Sur les Post-its roses et verts des mots clés apparaissent: “pollution”, “transparence”, “objectifs zéro carbone”, “respect des écosystèmes”. Le terme “qualité de vie” revient souvent. Loredana l’explique à sa voisine: “Plus d’arbres, plus de fraîcheur, que ce soit agréable.” Sylvain propose “rénovation des bâtiments dévoreurs d’énergie”. Sa voisine a un doute: “Est-ce un principe de base ou une mesure? Peut-être que le principe peut être l’économie d’énergie?” Julien insiste pour inscrire “l’égalité sociale dans les mesures que l’on prend et que tout le monde puisse y participer.” Linda n’est pas sûre de comprendre le problème. “Si l’on introduit une taxe sur les voitures, par exemple, cela sera facile pour les riches et plus dur à payer pour les autres”, explique-t-il. La discussion se poursuit.
Puis, les principes sont débattus autour de chaque table. Le but? N’en garder que trois. La discussion démarre, les opinions s’affrontent, les définitions font débat. Égalité sociale, Transparence – “on est tous d’accord, on ne sait pas comment les décisions sont prises”, Cohérence, Vision positive, des mesures smart – “spécifique, mesurable, atteignable, réalisable, temporellement définie”. “Cela demande beaucoup de réflexions pour arriver à des principes, glisse Eleni. Cela m’aide davantage à parler de valeurs et à réfléchir à quelles mesures permettraient de les adopter.”
Une fois choisis, les principes sont affichés sur le grand panneau “les mesures que nous allons proposer”. Aux termes de longues heures de débats, sept principes sont finalement sélectionnés:
- Oser faire des propositions ambitieuses et viables économiquement.
- Maintenir une cohérence à 100% dans toutes les décisions publiques.
- Mettre la santé de l’environnement et des habitants au centre des préoccupations.
- Égalité (sociale) /équité – pas au détriment des populations les moins aisées.
- Promouvoir la qualité de vie.
- Soutenir une démarche environnementale en accord avec les objectifs carbone.
- Transparence dans la communication des décisions à tous les niveaux (y compris politique).
Fixer les objectifs
Après la pause, un nouvel atelier démarre. Il s’agit maintenant de fixer les objectifs qui guideront la réflexion sur la base de l’expérience, des objectifs et des convictions des membres. Pour se faire, Christiane Amici-Raboud propose de reprendre les thématiques clés définies par les membres du Forum lors d’un précédent week-end:
- Un urbanisme qui favorise l’échange basé sur la définition des besoins.
- Favorisation de la consommation locale; “on est ce qu’on mange”.
- Urgence climatique et stratégie d’adaptation au changement climatique.
- Ville verte, biodiversité et qualité de vie.
- Mobilité en faveur de l’écologie pour tous (y.c mobilité réduite) pour s’adapter aux normes 2050.
(N.B: ci-après, ces thématiques seront résumées par les termes suivants: Urbanisme, Alimentation, Urgence climatique, Ville verte, Mobilité)
Quels sont les objectifs prioritaires pour chacun de ses thèmes. Les premières idées sont discutées et collées sur les larges panneaux:
- Mobilité: prendre en compte les besoins de toutes les personnes, offrir des subventions à la mobilité douce, rendre les voies pédestres et cyclables plus accessibles…;
- Alimentation: offrir une nourriture de qualité dans tous les établissements publics, être en contact avec les agriculteurs…;
- Urbanisme: améliorer la proximité des services et des infrastructures, avoir une stratégie de densification plus cohérente…;
- Ville verte: protéger, conserver, récupérer les espaces verts, décourager l’utilisation de la voiture…;
- Urgence climatique: soutenir une démarche environnementale en accord avec les objectifs zéro carbone…;
Les groupes se succèdent, la réflexion se poursuit, les objectifs s’ajoutent à la manière d’un cadavre exquis, pendant plusieurs heures. Chaque groupe présente ensuite ses trois priorités. Le débat s’ouvre sur plusieurs points.
La qualification des espaces verts: “Lorsque vous parlez de préserver les espaces verts, j’ai l’impression que cela ne donne pas d’indications sur la possibilité d’en créer de nouveaux”, soulève Raphaël. “L’objectif est de préserver et augmenter, je ne suis pas pour détailler davantage”, estime Lisa. “Comme on va devoir limiter le nombre d’objectifs à choisir, faisons attention à ce qu’ils ne se répètent pas deux fois”, continue Tamara.
Le label bio: “On parle de moins de pesticides, de biodiversité, mais la production bio n’est pas nommée », relève Giorgio. “Je suis pour l’agriculture sans mention de bio, avec trop de labels, on ne s’en sort plus”, répond Sylvain. “Moi, j’ai de la peine avec ça, car le label bio coûte trop cher pour les petits paysans, c’est l’exemple du fromage de chèvre à Meinier”, explique Pascal. “On pourrait mettre la notion (bio) entre parenthèses », propose Dominique. “L’objectif est que la production locale, suisse et genevoise, respecte la biodiversité”, explique l’auteur du texte. “Il ne me semble pas obligatoire d’aller autant dans le détail; le terme durable inclut déjà beaucoup de choses », continue Murielle. “Avoir le label bio, je ne sais pas, mais une agriculture respectueuse de l’environnement, pourquoi pas”, dit Raphaël.
Le transport aérien: “Dans la mobilité, le transport aérien n’apparaît pas. Est-ce voulu ou l’avez-vous volontairement enlevé? », constate Sylvain. “Dans la réduction des pollutions, on a sonore, air, lumineuse et aérienne,” répond Melina pour le groupe Mobilité.“ “Ah, alors on mettra le kérosène et tout le reste dans les mesures!”
Les émissions: “Arriver à une température qui ne dépasse pas 1.5°C, relève Sylvain. Est-ce que l’un des objectifs ne devrait pas être la fermeture des centrales thermiques qui polluent énormément?” “Un des objectifs sous-jacents serait de réduire les émissions fossiles donc on est sur ce sujet.”
Le vote est maintenant ouvert. Les membres du Forum Citoyen reçoivent dix gommettes à coller sous chacun des objectifs. Au sein de chacune des cinq thématiques, des objectifs se détachent rapidement et une première structure de l’avis final se dessine:
Urbanisme
- Avoir un stratégie cohérente de densification diversifiée et préservant les espaces verts.
- Favoriser la mobilité douce par le biais de l’aménagement du territoire.
- Prendre en compte les besoins de la communauté (proximité des services et infrastructures, création de liens avec les institutions).
Alimentation
- Rendre la production locale et durable, plus saine, plus accessible, plus abordable, plus intéressante (plaisir) et plus diversifiée.
- Réduction des déchets en lien avec la consommations.
- La production locale devrait être durable; équité (revenus équitable pour les agriculteurs), sociale (renforcer les liens producteurs-consommateurs), modèle économique viable.
Urgence climatique
- Les entreprises et l’Etat sont responsables et participent aux efforts de réduction du CO2 directes et indirectes et Suisse et ailleurs.
- Transition vers des énergies renouvelables et abandon rapide ou immédiat des énergies fossiles.
- Atteindre la neutralité carbone le plus rapidement possible pour ne pas dépasser les 1.5°C de réchauffement climatique
Ville verte
- Préserver et augmenter les surfaces dédiées aux espaces verts et réduire celles dédiées au trafic motorisé dans l’existant et les nouveaux projets.
- Population éduquée et informée sur l’écologie, la biodiversité et les conséquences sur la qualité de vie (déchets et tags)
Mobilité
- Mobilité douce et transports publics, efficace, fiable, agréable, accessibles et à toute heure dans la ville et à l’échelle du Grand Genève.
- Réduire la pollution sonore, air, lumineuse et aérienne
Illustrer par des mesures concrètes
Dimanche matin, les travaux reprennent. Un peu fatigués, mais toujours très motivés, les membres du Forum se penchent sur l’illustration des objectifs par des exemples de mesures concrètes. Plusieurs idées ont été données par les expert·e·s lors du week-end précédent. Un compte-rendu détaillé est remis aux participant·e·s afin de les aider. A peine les groupes formés, les idées fusent. On glisse une oreille d’un groupe à l’autre:
Mobilité: “On doit faire des pistes cyclables en site propre quitte à diminuer les routes”, lance Frédéric. “Je me déplace à vélo et oui, il faut plus de sécurité pour la mobilité douce”, ajoute Danielle. “Moi, je serais pour interdire les trottinettes et vélos de plus de 25 km/h sur les pistes cyclables ou pour leur créer une voie spécifique, car c’est quand même assez dangereux”, poursuit Arnaud.
Urgence climatique: “Rendre obligatoire un cursus sur le changement climatique, note Raphaël”, “Il faudrait créer une campagne de publicité pour faire connaître le plan cantonal sur le climat”, propose sa voisine.
Alimentation: “+ de Big Mac”, écrit Loïc par provocation face à l’idée de voir fleurir les menus végétariens; il pointe du doigt sa proposition plus sérieuse: “Amener le producteur au consommateur”. Léonard propose de “barricader les frontières” alors que Judith plaide pour “davantage de magasins zéro déchet”.
Ville verte: Parjan raconte les sorties proposées aux enfants de l’école d’Onex pour aller s’occuper d’un jardin communautaire dans le parc des Evaux et leur apprendre à cultiver le lien à la nature.
Urbanisme, Joseph ne comprend pas “pourquoi les immeubles poussent à droite et à gauche”. “Tu serais pour un plan localisé de quartier plus ambitieux”, suggère Muriel.
Les panneaux se remplissent d’idées et de mesures concrètes, courageuses, ambitieuses et parfois amusantes. Certaines mesures ont déjà été étudiées, mises en place au niveau local ou privé, d’autres sont en cours de réalisation. Ces aspects seront clarifiés lors de la prochaine étape.
L’heure de la pause de midi et de la conclusion du week-end arrive. Après un tour de salle, Igor Andersen résume les mesures proposées: beaucoup de propositions de nouvelles infrastructures, pas uniquement de mobilité, mais aussi au niveau des quartiers. Beaucoup de mesures impliquent des changements de pratiques, d’autres témoignent d’un besoin et d’une envie de coordination à l’échelle cantonale et du Grand Genève. Le tout avec un réel optimisme et la conscience que Genève a le potentiel pour devenir un modèle à travers le monde. “Il y a un équilibre intéressant entre de grandes idées nouvelles et des choses très simples et faciles à mettre en place. On perçoit des croisements, des idées qui reviennent de manière transversale. C’est très intéressant”, conclut-il.
Au terme de ces intenses heures de travail, Christiane Amici-Raboud prend la température au sein des groupes: “Optimiste”, répond le premier. “Fatigué, frustré, enthousiaste”, dit le deuxième. “Instructif et optimiste, pour le troisième. “Optimiste, stimulé et admiratif”, termine le quatrième. Le ton est donné pour le prochain et dernier week-end consacré à la rédaction de l’avis final les 29 et 30 mai.
Initié par le département du territoire, le Forum Citoyen de Genève est mis en place en collaboration avec l’Université de Genève