Audition des expert·e·s

Forum Citoyen: Comment favoriser une mobilité pauvre en carbone?

Sonia Lavadinho: La question est de savoir quels changements nous sommes prêts à faire dans l’ensemble de nos déplacements. La seule ville à avoir réduit nettement l’usage de la voiture est Bilbao. Les efforts pour y parvenir ont été énormes. La plus grande marge de manœuvre est sur la marche. À Bilbao, de nouveaux ponts, parcelles, ascenseurs, rampes ont été construits pour encourager également les personnes âgées à sortir de chez elles. C’est vraiment vers cela qu’il faut tendre. 

Vincent Kaufmann: Genève a déclaré l’urgence climatique en novembre 2019. Cela signifie que le canton est prêt à atteindre les accords de Paris à l’horizon 2050 et donc qu’il faut diminuer les émissions liées à la mobilité de 80%. C’est ambitieux. Comment y parvenir? S’il n’y a plus que des véhicules électriques en 2050, la diminution serait de 50%. L’autre moitié du chemin peut se faire par des stratégies d’évitement des déplacements: se déplacer moins et uniquement dans son quartier. L’autre aspect serait effectivement de passer de la voiture à d’autres moyens de transport. A Genève, il y a un désir d’utiliser autre chose que la voiture quotidiennement. Cela a beaucoup changé ces vingt dernières années et peut favoriser le changement.

Radu Florinel: Il faut changer le regard sectoriel et avoir une vision globale; aménager des espaces publics de qualité à différentes échelles: quartiers, communes, canton. Il faut des quartiers plus riches en services afin d’éviter d’être obligé de se déplacer pour aller chercher des services ailleurs.

Forum Citoyen: Comment est le flux de mobilité actuel? Comment doit-il être adapté? Comment planifie-t-on les flux futurs?

SL: Il n’y aura pas de transition écologique sans transition comportementale. On a poussé l’offre de transports jusqu’à ses limites. Il faut réfléchir à comment utiliser l’existant pour répondre à la demande, et essayer de changer les comportements.

Forum Citoyen: Comment rendre les transports publics plus efficaces?

SL: Aujourd’hui, les transports publics relient les lieux d’habitats et les lieux de travail. Je suis davantage en faveur d’une une armature forte – comme la S-Bahn à Berlin ou la Circle Line à Londres – sans forcément desservir finement à l’intérieur les quartiers. Une ligne qui relie Vernier à Onex, directement sans passer par le centre-ville, par exemple. 

VK: Le problème à Genève est que le territoire a été construit pour la voiture, ce qui rend les déplacements en voiture plus rapides et plus simples. Pour que l’automobile cesse d’être le moyen de transport le plus rapide, il faudrait développer le ferroviaire car le train et le tram sont la meilleure alternative d’un point de vue de la vitesse. Ces changements doivent être accompagnés – tout particulièrement en entreprise – pour éviter qu’ils soient balayés par des initiatives populaires et en votation.

Forum Citoyen: Que pensez-vous de la gratuité des transports publics?

SL: Les automobilistes ne vont pas renoncer à leur voiture parce que les transports publics sont gratuits. En revanche, on observe que davantage des marcheur·euse·s empruntent les transports publics pour des petits tronçons. Les cartes offrant des avantages pour les familles fonctionnent mieux.

Forum Citoyen: Pouvez-vous nous donner des exemples innovants, ambitieux et courageux et expliquer comment les implémenter à Genève?

K: A Genève, les questions de mobilité ont été saisies comme une opposition gauche-droite et se sont retrouvées au cœur d’une “guerre des transports”. La droite y défend l’automobile et la gauche les cyclistes et les piétons. J’ai toujours trouvé cela absurde. Sortir de cette histoire là me semble être un préalable important pour être ambitieux et courageux. Il faut également arrêter d’investir dans la voiture. Le sol est une denrée rare.

SL: Il faut effectivement être clair sur le fait qu’il faut arrêter d’investir dans la voiture. Tout est orienté dans le choix de la vitesse, ce n’est pas une fatalité. L’humanité a, par exemple, décidé d’arrêter le concorde en se disant que la vitesse actuelle des avions suffisait. Pareil pour le train, on ne va pas plus vite. A Berne, on généralise les zones de rencontres, à 20 km/h, mixtes entre voitures et mobilité douce. La ville ne sert pas à circuler. Il faut s’assurer que chaque franc investi serve d’abord aux gens. 

RF: Vous devez réfléchir à la manière dont vous voulez vivre dans un quartier, car c’est à cette échelle que les citoyens peuvent agir collectivement et créer une identité commune autour de projets communs, d’espaces publics partagés et réfléchir à comment y vivre ensemble. Un projet commun motive. Beaucoup d’espaces dans les quartiers sont vides et n’abritent aucune activité. Il y a donc une grande marge de manœuvre. 

Forum Citoyen: Quel est le bon équilibre entre sensibiliser et contraindre?

VK: La démocratie directe. Grâce à elle, en Suisse, nous avons tous à la fois un rôle d’usager et un rôle de citoyen. Cela passe par des initiatives citoyennes et des votations populaires.  Fondamentalement, les bonnes idées doivent venir des citoyens, car si la population est convaincue, elle est davantage prête à accepter des mesures drastiques. L’installation des zones 30 dans les villages est exemple.

SL: Même si sensibiliser n’est pas efficace, imposer n’est pas la solution. En démocratie directe, il faut travailler sur le choix; que les gens se sentent assez libres pour que leur changement de comportement soit toujours un choix volontaire et fait par plaisir. 

RF: Comment voulez-vous habiter demain? Le changement ne doit pas être imposé mais voulu, les mesures prises doivent l’être en faveur des habitants. Les jeunes d’aujourd’hui veulent changer le monde, ce n’est pas une menace, mais une opportunité.

Forum Citoyen: A quelle échelle se règlent ces questions?

RF: Ce sont des enjeux qui doivent être discutés à une échelle plus large et de manière plus concertée. 

VK: A l’échelle de l’agglomération franco-valdo-genevoise. Aujourd’hui, il n’y a malheureusement pas de politique commune et on se met des bâtons dans les roues en construisant des centres commerciaux ou des routes. Genève se désengage par rapport à “l’arrière-pays”, ce qui ne va pas non plus. Il y a besoin de construire une identité commune.