ÉTAPE 04 : 24 & 25 AVRIL 2021

Audition des expert·e·s

Comment cultiver et consommer dans le contexte de transition écologique?

Durant le week-end du 24 et 25 avril, la parole était aux expert·e·s au Forum Citoyen. Une douzaine de spécialistes ont été sélectionné·e·s afin d’exposer leur point de vue et d’entamer un dialogue avec les membres du Forum. Ces riches échanges doivent aider les participant·e·s à affiner leurs connaissances autour de la question “Comment voulons-nous habiter le territoire genevois pour mieux vivre ensemble dans le respect de la nature et faire face au changement climatique ?” et les aider à former leur avis final. Premier panel: économie, agriculture et consommation dans le contexte de transition écologique. Résumé des principales questions et réponses.

  • Julia Steinberger, professeure à l’Institut de géographie et durabilité de l’UNIL, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
  • Raeto Cadotsch, paysan retraité, fondateur des Jardins de Cocagne, des Cueillettes de Landecy, de Tournerêve et Super marché paysan participatif des Vergers.
  • Giovanni Ferro-Luzzi, professeur d’économie à l’UNIGE et à la HEG, économiste et co-auteur du rapport “Le bien-être durable: quelle croissance pour Genève?”
Forum Citoyen: Peut-on et doit-on changer l’agriculture actuelle et nos modes de consommation ?

 

Julia Steinberger: Il faut changer à la fois le mode de consommation et de production; un chantier très facile et très difficile en même temps. Changer notre façon de nous nourrir est important. Aujourd’hui, les médecins et écologistes s’accordent: il faudrait opter pour une nourriture basée sur les plantes. Ils recommandent des régimes permettant d’avoir à la fois une nourriture plus locale et plus saine avec moins de produits laitiers et animaux. 

Raeto Cadotsch: Il ne faut pas forcément arrêter la viande, mais arrêter de faire paître le bétail sur des terres qui devraient servir à produire de la nourriture. A l’inverse, la moitié des surfaces cultivées en Suisse sont des prairies permanentes; seul le bétail peut les valoriser car on ne peut rien y semer. Par exemple, dans le Jura ou dans les Grisons, il est difficile de faire autre chose que de l’élevage. Sur ces prairies, le bétail n’est pas en concurrence avec une alimentation végétale. 

Giovanni Ferro-Luzzi: En économie, la question est comment rendre moins attractif et moins abordable ce qui est polluant? Le principe pour favoriser le changement est la taxe. Par l’introduction d’un impôt sur les activités polluantes ou en liant les paiements directs à une prestation environnementale, l’Etat peut favoriser les technologies plus propres, forcer  agriculteurs et entreprises à internaliser le coût du dommage environnemental. Un exemple est la taxe CO2, un autre est la taxe sur le carburant. Il serait également possible de le faire avec le ciment pour opter pour un type moins polluant ou pour favoriser une agriculture sans pesticide.

 

Forum Citoyen: À Genève, est-ce vraiment possible de nourrir la population locale ?

 

GFL: Pas sûr que Genève puisse être autonome en termes d’agriculture. Nous importons beaucoup et exportons peu. À l’échelle de la Suisse, nous ne cultivons de loin pas tout. Une alimentation purement helvétique serait donc plus pauvre et le pays pourrait manquer de terres cultivables. 

RC: C’est sûr que Genève ne peut pas nourrir tous les Genevois. Aujourd’hui, l’agriculture produit environ 20% de la nourriture. Cependant, on produit beaucoup de vins, par exemple, et ces hectares pourraient être repensés. 

 

Forum Citoyen: Comment et à quel niveau changer ?

 

RC: Aujourd’hui, un paysan à Genève produit pour gagner sa vie. Il ne décide pas de ce qu’il produit, il produit ce qu’on lui achète; et dois garantir que son coût de production ne dépasse pas celui des prix européens. En Suisse, Migros et Coop achètent 80% de la production. Ce sont donc eux qui décident. L’environnement et la santé publique ne sont pas les priorités de leurs achats. On a perdu énormément de biodiversité au cours des trente dernières années pour se conformer à la demande de ces gros acheteurs. La forme des courgettes, aubergines, etc est devenue plus importante que la méthode de leur production. Je pense qu’il faut travailler sur le lien entre les consommateurs et les agriculteurs. 

 

Forum Citoyen: Comment espérer le changement dans le comportement des gens et favoriser des circuits courts et locaux ?

 

RC: Pour moi, cela passe par la relation entre consommateurs et producteurs. Il faut expliquer aux gens comment la nourriture est produite et d’où elle vient. C’est ce qu’on essaie de faire dans le quartier des Vergers: on a installé un boucher, un boulanger et même un fromager.

 

Forum Citoyen: Quelles informations doivent être offertes aux consommateurs et consommatrices pour espérer un changement d’attitude de leur part et des entreprises ?

 

RC: Il faut savoir qui produit, comment, dans quelles conditions et pourquoi on dépense notre argent. Il faut regagner ce pouvoir. On ne peut pas déléguer cette question à un marché mondial sur lequel on n’a pas d’emprise.


GFL: Comme l’a dit Raeto, Migros et Coop ont un pouvoir de marché très important. Ils décident le prix d’achat et de vente des produits agricoles. Généraliser la mise en lien direct entre les producteurs et les consommateurs serait effectivement avantageux pour les deux côtés. Je pense que les nouvelles générations vont s’organiser pour développer ces circuits courts et que cela pourra même être profitable pour l’intermédiaire, qui pourrait créer des emplois pour favoriser cette mise en lien.

 

Forum Citoyen: Comment est-ce que l’on change pour être plus durable, en bonne santé et avoir une réaction plus humaine comme consommateur ?

 

JS: Au niveau de l’écologie et de l’environnement, passer uniquement par l’information ne suffit pas à changer les comportements. Le changement pourrait passer par la démocratie écologique. En tant que citoyens, nous avons le droit d’avoir un regard sur nos économies et nous devons utiliser ce droit. Cela pourrait prendre la forme d’une charte citoyenne qui dise: nous voulons une autre manière de faire et de réfléchir à notre nourriture; demande à réancrer l’agriculture au niveau local; pense à un tourisme régional; réfléchisse à comment se préparer aux crises qui arrivent…Ce type de débat permet une concurrence par les idées et peut avoir une influence sur des gros acteurs comme Migros et Coop. 


RC: A Genève, il y existe une marque unique au niveau européen: Genève Région Terre Avenir, le label GRTA. Nous étions fiers de la mettre en place, mais la grande distribution a pris le contrôle dessus et nous n’avons pas les moyens de lui donner une bonne visibilité. Cette marque appartient aux Genevois, elle est publique. Les habitant·e·s du canton pourraient collectivement définir des règles pour l’utilisation de cette marque. Comme citoyens, vous pouvez également demander des places de marché dans vos quartiers et privilégier des partenaires qui choisissent des modes de production moins intensifs et redonner ainsi la possibilité aux paysans de produire des quantités plus petites, plus diversifiées, mieux valorisées.

 

Forum Citoyen: Comment modifier les comportements de toute la population ?

 

GFL: En économie, l’environnement est considéré comme un bien de luxe, en ce sens que les ménages plus aisés peuvent plus facilement internaliser le coût lié à une amélioration de l’environnement. Il ne faut pas ignorer la dimension sociale du développement durable. Prenez l’exemple des gilets jaunes. Le mouvement est parti de l’introduction d’une taxe sur les carburants. 


JS: La durabilité n’est pas quelque chose que l’on achète comme un produit de luxe, mais quelque chose dont on ressent les effets. Il y a un problème de justice environnementale. Les gens qui ont les moyens peuvent se permettre d’habiter dans les quartiers où l’air est meilleur et l’eau plus pure. L’écologie doit protéger tout le monde.


RC. On ne peut pas faire d’écologie dans un monde avec tant de différences dans la répartition des richesses. Les gens qui n’ont pas les moyens de payer leur assurance maladie sont soutenus par l’État. Il faut faire la même chose avec les gens qui n’ont pas les moyens de payer leur nourriture et ne pas se contenter de mettre en place un système d’aide alimentaire distribuant des denrées très bon marché. Il faut permettre à tout le monde d’acheter des produits de qualité; introduire un “chèque social pour l’alimentation”. On a vu avec le covid qu’il est possible de redistribuer les richesses, c’est une question de priorité.

 

Forum Citoyen : La population genevoise fait beaucoup ses courses en France et online. Quel est l’impact environnemental et financier de ces achats?

 

RC: Je n’ai rien contre la consommation en France voisine. Ici aussi, il faut juste réfléchir chez qui vous achetez, comment les aliments sont produits et aller à la rencontre des producteurs. Actuellement, la tendance est inverse: on construit de grands centres commerciaux de l’autre côté de la frontière qui sont là comme un aspirateur de devises et dont les municipalités ne veulent pas. Cela crée une grande pression sur le prix de ce que l’on produit à Genève. 

GFL: Le commerce numérique est un secteur difficile à réglementer. Le e-commerce met en danger le commerce local de détail, et cela depuis de nombreuses années. À Genève, plusieurs magasins souffrent de cette concurrence. 

JS: Il y a de tout dans l’e-commerce: de l’agriculture de proximité, des commerces éthiques qui utilisent internet pour mieux tourner et le géant Amazon dont le patron y accumule une fortune proche de celle des pharaons. En ligne aussi, il faut réfléchir à ce que l’on veut, à comment on veut vivre ensemble, et à qui contrôle l’outil.

 

Forum Citoyen: Quel rôle de l’éducation ? 

 

GFL: La manière dont on présente les choses aura un impact sur les choix des consommateurs. On peut réfléchir au design du produit ou à la manière de poser une question. Le problème des êtres humains est cette dissonance cognitive entre ce qu’ils veulent et ce qu’ils font. Il faut trouver des systèmes qui nous aident à faire les bons choix sans solliciter une grande réflexion. Des expériences ont montré que les gens pouvaient consommer “mieux” dans les cafétérias simplement si l’ordre dans lequel les mets sont proposés est modifié. 


JS: L’éducation est importante pour intégrer le rôle de la production et consommation alimentaire sur le climat, tout particulièrement celle de la viande et des produits laitiers. Cette réflexion doit se faire au niveau local comme global; de la suppression de la viande dans les cuisines scolaires genevoises à l’impact que peut avoir de la culture de soja au Brésil ou la fabrication de l’huile de palme sur la déforestation en Indonésie.

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